Les grès flammés de Gentil & Bourdet
mercredi 15 juin 2011, par Gentil & Bourdet
Voici un article que nous avons trouvé extrait d'un bulletin de la Société des élèves et anciens élèves du conservatoire national des arts et métiers datant de 1909. Il est long, technique, mais fort intéressant.
Assister a l'évolution, à la transformation de la matière,
non pas au point de vue si abstrait de la philosophie scientiflque mais dans un but purement esthétique, c’est la un
spectacle qui toujours, a attiré le penseur, l`ami du beau.
C`est ce spectacle qu’ont pu admirer a leur aise les quelques visiteurs qui sont venus, le 22 juillet dernier, en l'usine
hospitalière de MM. Gentil et Bourdet, céramistes, dont il ne
siérait pas, à ma faible plume, de faire l`éloge tant est grande
leur réputation que de plus autorisés ont déjà reconnue.
Prendre la terre, matière inerte, informe, la voir se transformer en plante, fleur, oiseau, Visage humain, voila ce qu`ont
fait devant nous les artistes et les artisans en ce petit coin
d'art qu’est l‘usine des grès flammés de Billancourt.
Le grès se différencie des faïences et des porcelaines, dont
il est le degré intermédiaire dans l`échelle de la classification
rationnelle des céramiques, en ce que sa pate tout en étant
imperméable n’est pas transparente.
Cette imperméabilité est obtenue par un commencement de
vitrification lors de la cuisson. La pâte de grès renferme des
argiles tres micacées et ce sont précisément ces micas du type
muscovite, par exemple, répondant a la formule générale:
K²O,H²O, 3 Al²O3, 6SiO²
qui abaissent le point de fusion de la pate, par suite de la
presence des alcalis, et favorisent cette vitrification.
Le dégraissant employé est le sable de Decize contenant du
feldspath comme l’ont démontré les analyses de Lavezard.
Le mélange du sable et des terres argileuses micacées s’effectue dans une aire de l'atelier après avoir séparé au brise-mottes (Fig. 1) les morceaux trop gros ou trop durs.
Quand le tas de terre est amené à composition déterminée
on passe la pâte légèrement humidifiée au broyeur mélangeur a propulsion centrale (fig. 2) constitué par une trémie
au fond de laquelle deux cylindres animés de vitesses différentes et tournant en sens inverse font subir au mélange un
étirage en l'entrainant vers le cylindre armé de dents à sa
périphérie et au centre duquel tourne une hélice qui force la
pâte à se découper, puis se ressouder à elle-même pour sortir par
une ouverture de forme réglable et appropriée (à droite de
la figure 2).
On obtient ainsi des parallélipipédes de pâte qui
sont reçus et découpés sur le chariot coupeur(fig.3) placé à la
suite du broyeur mélangeur. Le découpage s'opère à l'aide
fils metalliques tendus sur un cadre mobile autour d’un axe
parallele à la longueur du chariot (partie postérieure de la
fig. 3. )
La pâte après un ressuyage convenable pour avoir une plasticité suffisante est débitée manuellement en pains qui sont
ensuite pressés dans des moules en plâtre portant en creux les
parties a reproduire.
Pour les colonnettes, balustres, pilastres, statues, la pâte
est coulée semi-fluide dans des moules en plusieurs pièces,
atin de favoriser le dépouillement des sujets en relief.
Le plâtre absorbant l'eau de la pâte détermine une dessication, un colmatage à la surface des détails du moule de
telle sorte qu’au bout d’un temps déterminé, si on laisse écouler la pâte en exces, on obtient une croûte d’épaisseur voulue
ayant la forme extérieure de l'objet à reproduire.
Les carreaux plats sont façonnés à l'aide d‘une presse rebatteuse (fig. 4.) sur laquelle on pose une galette de pâte raffermie qui est ensuite pressée à épaisseur et dimensions fixes à
l'aide d’un levier agissant sur une came entrainant le corps
de la presse qui, à la fin de la course, forme bélier pour frapper la marque de fabrique ou tout autre dessin.
Les pieces moulées ou rebattues sont desséchées dans les
séchoirs, placés au-dessus des fours à cuire, dont ils utilisent
la chaleur perdue par rayonnement.
La decoration suit la dessication et s‘opere au pinceau ou
au vaporisateur (fig. 5) en s’aidant de pochoirs dans le cas de
plusieurs teintes. Le vaporisateur, quand il peut étre employé, donne une couche de couleur d’epaisseur beaucoup plus
uniforme que celle obtenue au pinceau, aussi emploie-t-on le
plus possible le premier de ces deux appareils malgré la perte
un peu plus forte d’émail qu’il occasionne.
Apres une deuxieme dessication, l'enfournage est effectué.
l'opération délicate commence; c‘est de l'enfournage puis
de la cuisson que vont résulter les belles couleurs aussi régulieres que possible dans diverses pièces d’un même ouvrage :
cheminée, colonne, muraille, etc.
Le céramiste le sait bien et connait son four ; il enfourne ses
pieces suivant les résultats à obtenir de facon à utiliser les
différentes zones de température depuis l’alandier jusqu'à la
sortie du retour de flamme (fig. 7) dans la cheminée.
Le four plein, on obture les portes de chargement pour
opérer le dégourdi de. l’anthracite, doucement, sans flamme,
afiin que les dernières molécules aqueuses aient le temps de
partir progressivement sans gauchir ou détériorer les pièces.
Le coke suit puis la houille pour opérer la cuisson définitive
dont on suit la marche à l'aide des montres de Seger disposées à l'intérieur du four en face des regards (fig. 6).
Après cuisson, le feu est ralenti, on le laisse tomber, puis
les portes de chargement sont peu à peu découvertes, de façon
à opérer un refroidissement lent n'occasionnant pas de tresilures dans la glaçure.
Le feu maintenu réducteur a réagi sur les oxydes des matières minérales colorantes qui ont alors coloré, par une
deuxième réaction, la glaçure elle-même, en déterminant pour
certains objets ces coulées, ces cascades chatoyantes, rutilantes, qui symbolisent tant les grès flammés.
Le défournement peut étre fait, le céramiste y assiste toujours avec un peu d`émotion, anxieux du résultat.
Les pièces défournées sont classées en plein air suivant
leur coloration ou leur usage, puis assemblées d`aprés un
gabarit déterminé à l'avance et qui, dans le cas de carrelages
ou de décors muraux en mosaïque de grés flammés et cérames, est dessiné au poncif d`apres un dessin type. Sur ces
poncifs obtenus au noir ou à la Sanguine on vient coller les
pieces céramiques du dessin et le tout est expédié, sans crainte
de déplacement, à l'endroit d`utilisation ou l'application sur
une couche de ciment humide provoque le décollement de la
feuille de papier en laissant adhérent au ciment le motif de
décoration.
Apres avoir assisté aux diverses phases d’une fabrication
à la technique si complexe, M. Gentil nous montra les résultats obtenus depuis la cheminée modeste, mais combien
égayante au logis ouvrier, qui orne le logis des nouveaux
phalanstéres parisiens de la fondation Rotschild et tutti
quamti, jusqu’au gigantesque monument que la France a élevé
en Indo-Chine, à Hanoi, et dont l'éxecution difficile a été confiée si MM. Gentils et Bourdet.
Avec le souvenir d'un accueil bienveillant, nous emportons
chacun un petit scarabée, tout de céramique obtenu, qui,
peut-étre, à chacun de nous, comme dans l'antique Egypte,
portera bonheur; mais qui, sans doute aucun, nous rappellera les quelques bons instants passés en si aimable compagnie.
Que nos sincéres rernerciements aillent jusqu'à MM. Gentil
et Bourdet ainsi qu`ài MM. Renou fréres qui nous ont gracieusement prété les clichés de machines céramiques qui illus
trent et complétent si utilement cet article.
G, DEGAAST.